Pour leur spectacle de sortie, la promotion 2019-2020 de l'académie de la Comédie-Française devait présenter « Le roi s'amuse », drame romantique de Victor Hugo dont la création a eu lieu le 22 novembre 1832 à la Comédie-Française. Les représentations ont malheureusement été annulées pour cause de confinement.
Le roi s’amuse
d’après Victor Hugo
par la promotion 2019-2020 de l’académie de la Comédie-Française
Chloé Bellemère, Salomé Benchimol, Aksel Carrez, Flora Chéreau, Claire Fayel, Aurélien Hamard-Padis, Mickaël Pelissier, Camille Seitz, Nicolas Verdier
« Les académiciens et académiciennes de la Comédie-Française sont chaque année au nombre de neuf : six comédiennes et comédiens, un metteur ou une metteuse en scène-dramaturge, un ou une scénographe, un costumier ou une costumière. Ils passent une année entière sur les plateaux, en ateliers, en cours et entre eux, espérant que ce maelström de pratiques et d’intentions fasse masse et crée les conditions d’un collectif durable, comme ce fut le cas pour le Collectif Colette ou Le Royal Velours. L’autre moyen de les réunir est le spectacle qu’ils ont l’occasion de fourbir entre eux, préparé au long cours, dans les interstices de leur agenda surchargé. L’Académie est pour nous une jouvence perpétuelle. Nous confrontons nos savoirs sans être sûrs de la pertinence de notre enseignement tant les manières de faire du théâtre, si elles restent finalement les mêmes depuis des siècles, diffèrent sans cesse et font révolution, recyclant chaque décennie les mêmes obsessions et la même obligation d’épouser son époque. Les jeunes gens qui constituent l’Académie sont partagés, toujours, entre leur désir d’invention ou du moins de contemporanéité et l’envie de maîtriser, comme les acteurs de la Troupe, les styles permettant de jouer l’ensemble du répertoire.
Aujourd’hui, Aurélien, aidé aux costumes de Claire et à la scénographie de Chloé, met en scène Salomé, Camille, Flora, Nicolas, Aksel et Mickaël dans un classique d’Hugo, Le roi s’amuse, dont la dernière production à la Comédie-Française mise en scène par Jean-Luc Boutté avec Roland Bertin date d’il y a presque trente ans. Je me réjouis que ces jeunes gens si talentueux et inscrits dans les problématiques de notre époque se confrontent avec leurs outils et leur jeune savoir à ce répertoire classique mais qui a besoin, au-delà d’une quasi-obligation d’incarnation, d’une revisitation et de relectures permanentes. » Éric Ruf
Aurélien Hamard-Padis. C’est une pièce assez peu montée mais, je crois, fondamentale dans les ambitions dramatiques de Victor Hugo. Le personnage du bouffon est une racine très profonde de son imaginaire de la scène et c’était pour lui l’occasion de pousser la radicalité de son projet théâtral très loin avec Le roi s’amuse, en témoigne l’accueil plutôt froid que lui ont réservé ses contemporains bourgeois, même libéraux. Travailler là-dessus, sur du très laid et du très noir d’Hugo dramaturge, sur ses alexandrins, pendant cette année d’immersion à la Comédie-Française, me semblait un défi intéressant pour toute l’Académie. Un défi de jeu, de parcours de comédien et de comédienne, une gageure aussi pour la scénographie, les costumes, la dramaturgie et la mise en scène.
Cette pièce relève d’un grand frisson. Tenter d’en trouver ensemble au plateau les rouages, reconstituer les émotions et s’interroger sur ce qui résonne encore ou autrement chez nous, pour donner à un public d’aujourd’hui Le roi s’amuse mélangeant les genres, immoral et terrible, c’était un projet qui me paraissait enthousiasmant.
Je trouve que cette fable cruelle, de jalousie paternaliste, d’impunité des crimes royaux, de retournement du sort sur les tentatives individuelles de révolte contre l’ordre établi, de représentations de soi et de carcan patriarcal a des échos très forts, et douloureux, aujourd’hui. Il me semble qu’Hugo parvient à être dans une démesure qui ne renie aucune nuance, laisse une grande part d’intelligence au spectateur, et qu’il y a là une matière à jouer formidable, difficile, parce qu’elle est très sauvage et que les personnages sont souvent d’une duplicité extrêmement riche.
Aurélien Hamard-Padis. L’adaptation a forcément été influencée par cette contrainte d’équilibre de distribution que je me suis donnée parce qu’elle me semblait féconde. La pierre angulaire de l’adaptation est sans doute la scission du personnage de Triboulet en deux. Au sujet de Triboulet, il n’était pas question de diviser le sublime et le grotesque si magistralement liés en un seul personnage par Hugo, mais de jouer sur la distinction des espaces. Triboulet est bouffon à la cour comme nous sommes en représentation en société et sur Internet. C’est cette disjonction que nous vivons, l’impression de vivre dans des mondes imperméables les uns aux autres, que je cherchais à mettre en lumière ici. Pour le reste, il s’est agi de tirer certains fils importants qu’une version intégrale avec peu d’interprètes aurait vu être trop dilués. Par exemple, je tenais beaucoup à ce que Saltabadil et Maguelonne aient une présence plus forte dans l’adaptation que dans la pièce originale. La nécessité de jouer clairement la relation entre le roi et son bouffon, de montrer la noire influence de Triboulet sur le jeune François Premier, celle de ménager pour Blanche des espaces plus denses d’expression, ou celle de donner une cohérence aux courtisans désormais peu nombreux ont guidé mes choix. Évidemment, même si j’ai opéré des coupes et changé l’ordre de quelques passages pour les besoins dont je vous parle ici, l’adaptation est uniquement constituée par les vers d’Hugo, c’était un critère extrêmement important pour moi. La réduction du nombre de rôles dessert sans doute un peu l’impression d’être face à un système que souhaitait donner Hugo par la multiplication des courtisans. Je crois que nous n’avons pas besoin de ce nombre pour éprouver l’implacable fatalité qui a cours dans les lieux du pouvoir dont le dramaturge nous parle.
Aurélien Hamard-Padis Le processus de travail ensemble est, lui aussi, nécessairement en réinvention permanente face à des contraintes sanitaires et logistique fortes. Dans une maison aussi bouillonnante que la Comédie-Française, nous avons eu la chance rare de voir notre première phase de répétitions se dérouler directement au plateau, avec le décor. L’espace a donc énormément compté d’emblée dans le travail : il fallait profiter de sa présence éphémère et construire le squelette de la pièce.
Avec la mémoire de ces premiers jours, nous nous sommes attachés ensuite à un travail scène par scène, à l’élaboration du parcours de chacun. Nous avons tenté de rester au plus proche de ce que nous semblaient être les enjeux et les rapports proposés par Hugo, et au plus loin les uns des autres, pour préserver la santé de tous. Nous avons essayé de rendre féconde cette contrainte-ci également : les corps éloignés restent chargés, en tension les uns avec les autres, et les enjeux des gestes les uns vers les autres doivent être débattus un à un pour décider des contacts signifiants susceptibles de servir le projet. Comme c’était dans l’ADN du défi qu’on se proposait avec Le roi s’amuse, il a beaucoup été question d’écoute entre interprètes, de trouver comment se construisent les relations entre les personnages dans les scènes et les parcours de chaque interprète sur l’intégralité de la pièce. En prise avec l’effervescence de ce mois d’octobre, nous n’aurons sans doute que peu de temps de répétition tous ensemble pour éprouver le souffle global, j’espère néanmoins que vous y verrez un geste artistique commun, une proposition que nous voulons enthousiaste et généreuse.
Dans cette pièce de Victor Hugo, la dramaturgie navigue constamment entre espaces intérieurs, extérieurs, et hors-champ. Les personnages d’un espace à l’autre y font la fête, s’espionnent, complotent, préparent enlèvement et meurtre. Il était important de transmettre cette dynamique. La scénographie permet de signifier ces différents espaces rythmant la pièce tout en offrant à la mise en scène un véritable terrain de jeu. Ses mouvements participent à l’aspect comique de certaines situations, ou à l’inverse donnent un ton plus dramatique.
À la lecture de la pièce, j’ai retrouvé l’univers pictural de Victor Hugo, ses lavis, ses dessins à l’encre tachés de café, ses eaux fortes, ses gravures. J’ai voulu garder dans le décor ce ressenti de textures singulières et jouer avec le dessin des silhouettes pour mettre en valeur les costumes.
L’atmosphère dégagée par la lumière est très présente dans l’écriture de l’auteur. De nombreuses scènes ont lieu dans l’obscurité, d’autres à la lueur du matin, ou à celle d’un orage. La scénographie épurée modèle l’éclairage comme un matériau plastique, et plonge le spectateur dans un environnement sensoriel, favorisant l’imprégnation des émotions.
Les costumes de la pièce Le roi s’amuse reposent sur un mélange entre costume historique et contemporain.
Les formes de costumes historiques inscrivent immédiatement les personnages dans la temporalité de l’histoire. Parallèlement, la simplification des lignes par l’utilisation d’éléments du vestiaire contemporain les immerge dans notre temps en accord avec l’espace épuré qui les entoure. L’idée était de rendre les personnages plus proches de nous sans renoncer à un certain faste d’éléments de costume historique. Les bribes de costumes contemporains s’effacent au profit des ornements et des lignes historiques porteurs d’imaginaire.
Auréolés de fraises, avec l’envergure épaulée d’un pourpoint, ou le tintement d’un bijou, le costume se concentre à des endroits précis du corps, chargeant les bustes, ornant de fraises les visages, mais laissant libres les mouvements, souples et légères les démarches.
La partie dit le tout et l’espace encore à construire laisse une zone trouble de doute, de rêverie.
Les personnages sont en permanente construction, changeant de rôles, se dédoublant, se travestissant pour réapparaître sous d’autres attraits.
Hybrides, les silhouettes se déclinent, se décomposant et se recomposant au fil de la pièce. Dans Le roi s’amuse, nombre de personnages semblent être construits comme des doubles, à plus forte raison dans cette mise en scène proposant le dédoublement physique de Triboulet en deux corps, en deux jeux. Si les deux costumes de bouffon de cour sont le parfait reflet l’un de l’autre, d’autres jumelages de personnages me paraissaient intéressants à souligner par une ligne, une couleur commune, ou un traitement esthétique similaire.
Recherches autour du fou.
La question de la bosse du fou m’a paru fondamentale dans la recherche de son costume. C’est elle qui le rend monstrueux, donc bouffon, mais c’est dans son rôle de fou que le personnage exhale toute sa monstruosité.
L’habit du fou est ce qui le rend libre de faire et dire ce qui lui plaît sans être pendu, c’est également ce qui l’asservit et le conditionne fondamentalement. La bosse fait partie de son costume et son costume lui donne un rôle. Sa condition et son habit sont tous deux empreints de paradoxes, entre le monstrueux et le plaisant, la liberté totale et la servitude, le grotesque et le sublime, entre ce que l’on exhibe et ce que l’on dissimule.
La transposition esthétique de cette idée passe par l’emploi de crevés, une surface ou des bandes de tissu qui laissent déborder un autre tissu, impliquant l’idée d’intérieur et d’extérieur, d’opulence dans le mouvement et de surenchère dans la juxtaposition des matières et des couleurs. La bosse du fou est ainsi entièrement composée de crevés, faisant corps avec le pourpoint, ouvrant vers l’extérieur des parcelles de l’intérieur, et jouant de contraste de couleurs.
Ces crevés colorés sont autant de plaies que le bouffon exhibe joyeusement, tels des éclats jaillissant du velours bleu nuit de son pourpoint.
Propos recueillis en septembre 2020.
La Comédie-Française lance la troisième édition du Salon des métiers du spectacle vivant en visioconférence ! La Comédie-Française est une véritable ruche de près de 80 métiers exercés par 450 personnes qui fabriquent chaque élément des 25 spectacles qu’elle présente chaque saison. Venez les découvrir !
POUR LA SAISON 24-25
En raison du renforcement des mesures de sécurité dans le cadre du plan Vigipirate « Urgence attentat », nous vous demandons de vous présenter 30 minutes avant le début de la représentation afin de faciliter le contrôle.
Nous vous rappelons également qu’un seul sac (de type sac à main, petit sac à dos) par personne est admis dans l’enceinte des trois théâtres de la Comédie-Française. Tout spectateur se présentant muni d’autres sacs (sac de courses, bagage) ou objets encombrants, se verra interdire l’entrée des bâtiments.